« Intelligence » Artificielle : mythe ou réalité ?

16 novembre 2021

« HAL, ouvre la porte s’il te plait ». Cette phrase, issue du célèbre film de Stanley Kubrick, 2001 l’Odyssée de l’espace (1968), est prononcée par un protagoniste à l’endroit du robot HAL 9000, superviseur d’une mission spatiale. Tout le monde connait la suite des évènements : le robot, doté d’une intelligence artificielle, estime que les astronautes présents dans le vaisseau sont devenus un obstacle à la réussite de la mission et décide par conséquent de s’en débarrasser. Cette dernière scène a certainement participé à la création d’une mythologie autour de ce que l’on appelle aujourd’hui couramment, et peut-être un peu abusivement, « l’intelligence artificielle ».

D’aucuns prétendent que, dans un avenir proche, les robots et l’intelligence artificielle vont dominer et prendre le contrôle des hommes ou les remplacer dans leur travail. D’autres, plus optimistes, nous prédisent que l’IA va résoudre tous les problèmes de l’humanité, notamment, une meilleure gestion des ressources et une meilleure répartition des richesses.

L’objectif de cet article sera de réaliser un état des lieux des avancées actuelles sur l’intelligence artificielle et de répondre à la question « Doit-on réellement parler d’intelligence ? », avec un cas pratique sur le monde du recrutement. Pour réussir ce tour de force, nous avons réuni nos expertises : Florent, Data Scientist et Coline, recruteuse IT.

Commençons tout d’abord par comprendre comment cette mythologie autour de l’intelligence artificielle s’est constituée.

Comment le mythe autour de l’IA s’est-il construit ?

Nous pouvons dégager deux sources principales dans l’édification d’une véritable mythologie autour de l’IA : la première, plus ancienne, est d’ordre imaginaire et présente dans les films et la littérature alors que la seconde est liée à la réalité avec, notamment, des prouesses techniques réalisées ces dernières années ainsi que des déclarations faites par des célébrités issues du sérail technologique.

Les deux exemples les plus célèbres du cinéma sont indéniablement 2001 l’Odyssée de l’espace, évoquée dans l’introduction, et Terminator réalisé par James Cameron (1984). Le premier a pour vedette un robot doté d’une intelligence hors norme capable de prendre de meilleures décisions que les hommes, alors que le second nous raconte l’extermination implacable des êtres humains par le réseau Skynet et sa prise de pouvoir sur le monde. Côté littérature, nous pouvons mentionner le livre Frankenstein de Mary Shelley, dans lequel une créature créée par l’homme se retourne contre son inventeur, ou encore les livres de Isaac Asimov mettant en scène des situations avec des robots gérés par des lois.

En ce qui concerne la réalité, nous avons été témoins, ces dernières années, de performances technologiques accomplies par les machines. La première remonte à 1997 avec la défaite du célèbre joueur d’échec Garry Kasparov face à l’algorithme développée par IBM : Deep Blue. En 2011, IBM réitère l’exploit en remportant cette fois le jeu télévisé Jeopardy, équivalent de notre Questions pour un champion, avec son ordinateur Watson capable de traiter le contenu d’un million de livres par seconde. Plus récemment, en 2016, le champion du monde du jeu de Go Lee Sedol a été battu par le programme informatique AlphaGo développé par DeepMind, une filiale de Google.

Enfin, Elon Musk, le milliardaire à la tête des entreprises Tesla et SpaceX déclare régulièrement avoir peur de l’émergence d’une forme d’intelligence supérieure à celle de l’homme. Sans chercher à juger les propos de cet homme de génie, il est toutefois notable de savoir que de nombreux scientifiques et autres personnalités impliqués dans la recherche sur l’IA ne sont pas d’accord avec lui. C’est le cas de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, qui s’oppose complètement à la vision apocalyptique de Musk au sujet de l’IA.

Après avoir vu quelques œuvres et exploits techniques ayant contribué au mythe de l’intelligence artificielle, essayons à présent de démystifier l’IA et de mettre au clair ce malentendu.

L’intelligence artificielle n’est pas intelligente

Pour commencer, essayons de donner une définition de l’intelligence. Selon nous, l’intelligence, c’est avoir la capacité de réfléchir, d’innover, de prendre des décisions, de contextualiser, de casser les règles. A l’aune de cette définition, il est clair qu’une machine ou un algorithme n’est capable de réaliser aucune de ces actions, le terme « intelligence » pour les caractériser est donc inadéquate.

Les algorithmes font ce pour quoi ils ont été programmés. Si le but de l’algorithme est de distinguer les chats des chiens sur des images et qu’on lui présente une image de poisson, il donnera invariablement des résultats proches pour les deux classes, à savoir environ 50%, puisque sa base d’apprentissage ne contient aucune image de poisson. Les algorithmes sont incapables d’extrapoler. Par ailleurs, c’est l’utilisateur de l’algorithme, donc l’humain, qui décide du moment de son utilisation et non le programme qui entreprend de se lancer de façon autonome.

Là où un enfant a besoin de 2 ou 3 photos de girafe pour les reconnaître à vie, une machine a besoin de quelques milliers, sinon quelques dizaines de milliers de photos de girafes, sous différents angles qui plus est, afin d’être en mesure de reconnaitre une girafe. De plus, si la base d’apprentissage, fût-elle constituée de millions d’images, ne contient pas une seule girafe prise en photo la nuit, l’algorithme aura du mal à reconnaître une girafe dans la nuit. Les machines ne savent pas contextualiser.

Avec ces explications, reprenons les exemples de la partie précédente. Deep Blue n’est en réalité rien d’autre qu’une suite de règles et effectue les actions menant à la victoire en reconnaissant, à chaque étape du jeu, un état déjà stocké dans sa base de données phénoménale. Il n’y a aucune réflexion derrière ce processus. C’est exactement le même principe avec Watson. AlphaGo est basé sur un algorithme plus avancé de Deep Learning, ce dernier ayant été entrainé sur quelques milliers, sinon millions de parties de Go afin d’être capable de choisir la meilleure action à chaque étape du jeu.

Les contempteurs de l’IA nous opposent souvent le fait que les modèles de Machine Learning et de Deep Learning, les branches statistiques de l’IA, sont des boîtes noires impossibles à expliquer. C’est en partie faux. Yann LeCun, responsable de l’IA chez Facebook, estime qu’il est possible, avec du temps et beaucoup d’effort, d’expliquer chaque étape d’un modèle d’IA et de dresser la fonction qui lie les entrées et la sortie. Cela demande certes de la ténacité, mais c’est possible. L’explicabilité des modèles est un champ très actif de la recherche en intelligence artificielle.

Aux oiseaux de mauvais augure invoquant le remplacement de l’être humain par les robots ou les machines, nous pouvons leur rétorquer que les 2 pays possédant le plus de robots, le Japon et l’Allemagne en l’espèce, sont également les pays ayant les taux de chômage les plus bas. Par ailleurs, jusqu’à présent, le principe de « destruction créatrice » théorisée par l’économiste Joseph Schumpeter et désignant l’accompagnement de chaque rupture technologique par la destruction mais aussi et surtout par la création de nouveaux emplois, s’est toujours réalisé. Il n’y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas avec le développement de l’IA.

Pour ce qui est de la dangerosité de l’IA, il n’est évidemment pas question de l’atténuer, ni de la nier. Ce danger existe mais il n’est pas intrinsèque à l’IA, il est propre à son utilisation, donc à l’homme. Répétons-le, les algorithmes et les machines exécutent les tâches pour lesquelles ils sont faits, circonscrits à leur base d’apprentissage. Si nous décidons de créer des robots tueurs ou de développer des chatbots racistes, la responsabilité incombe à l’être humain et non à l’IA.

Pour illustrer notre propos sur « l’intelligence » des IA, nous avons choisi de prendre d'exemple du recrutement.

Une IA peut-elle aujourd’hui recruter votre futur coéquipier « parfait » ?

Le portrait-robot du « Top recrutement » en 2021

Le précepte anglo-saxon : miser sur un potentiel plutôt qu’un périmètre déjà maitrisé a déferlé sur l’hexagone ces dernières années et est venu profondément modifier les pratiques de recrutement. Les secteurs pénuriques en ressources compétentes, tel que l’IT, ont été encore plus bouleversés dans leurs pratiques. Car faute de candidats, les recrutements sont désormais basés sur la confiance et la potentialité d’un futur talent à façonner.

Le marché a également changé ces dernières années, nous le voyons sans cesse sur les réseaux sociaux, les consommateurs sont à la recherche de sens, de marques ayant un impact écologique, une mission humanitaire ou encore associative sur leur environnement. Les entreprises ont donc intégré qu’elles devaient recruter des talents pouvant insuffler du sens à leur organisation et à leur produit, et pour cela, il faut sortir des sentiers battus.

En 2021, nous avons enfin compris que la personnalité de nos coéquipiers et leurs soft skills sont beaucoup plus importantes que les compétences qu’ils maîtrisent à leur intégration. Il faut également se rappeler qu’un talent dans une entreprise ne le sera pas forcément dans la vôtre, votre écosystème étant totalement différent en termes de produits et de valeurs.

En 2020, un top 10 des soft skills les plus recherchées par les entreprises a été réalisé, et il contient entre autres les compétences suivantes : la capacité à résoudre des problèmes complexes, l’esprit critique, la créativité, l’intelligence émotionnelle, etc. Sans compter que l’on va rechercher un candidat ayant un excellent savoir-être : sympathique, drôle, à l’écoute, sachant accepter la critique, ayant l’esprit d’équipe, aimant les challenges…

J’ai l’habitude de dire lors de mes recrutements que je préfère 1000 fois recruter un candidat ayant un superbe savoir-être et un potentiel en devenir, qu’un autre maîtrisant les compétences attendues mais ayant un savoir-être incompatible avec nos valeurs. Car un savoir-faire évolue mais l’essence de la personne, elle, ne changera pas.

L’évaluation des soft skills et du savoir-être d’un candidat

La plupart des compétences recherchées par les recruteurs aujourd’hui ne sont plus quantifiables, ni observables sur un CV ou un profil LinkedIn, alors, comment réussir à les détecter en entretien ou sur des cas pratiques ?

Certaines entreprises réalisent des cas pratiques pour voir comment évolue leur candidat en équipe et quels sont ses réflexes. Mais il faut toujours tenir compte du fait que votre test est biaisé car le candidat se sait observé et il est en situation de stress, vous faisant sûrement passer à côté d’excellents candidats.

Il existe également pléthore de tests psychologiques : MBTI, DISC, Process Com…pour venir catégoriser les soft skills. Mais ces derniers peuvent être facilement biaisés également, notamment quand on a l’habitude d’en faire, et surtout si l’on connait les attentes de l’entreprise (un profil aimant le challenge, travaillant seul, etc…).

A contrario, dans le top 10 des soft skills 2020, il est noté la très intéressante « intelligence émotionnelle ». Cette compétence est la faculté à se connecter à son interlocuteur et à ressentir, analyser ses émotions mais également à savoir faire preuve d’empathie. Cette faculté offre au recruteur qui la possède la capacité à analyser le savoir-être et les motivations de son candidat de manière très fine. De plus, le recrutement est toujours une question de « feeling » avec vos interlocuteurs, « le courant est-il passé ? Son énergie me plait-elle ? ». Questions qui ne sont également pas quantifiables.

L’intelligence artificielle, recruteur 2.0 ?

A l’image de l’expérience de la Chambre Chinoise par John Searle (1980), il est très facile de pouvoir laisser penser qu’un programme informatique est intelligent alors qu’il n’est qu’une suite d’instruction n’ayant de sens que pour le développeur l’ayant conçu.

Les algorithmes d’IA peuvent nous accompagner dans l’aide à la décision, par exemple pour le recrutement, la proposition de candidats potentiels au vu de nos propres collaborateurs sur LinkedIn. Mais il faut toujours garder à l’esprit que les prédictions dépendent des données d’apprentissage de l’algorithme, qui ne sont pas toujours adaptées à votre problématique ou totalement partiales. A l’image de l’IA de recrutement d’Amazon qui avait été entrainée par leurs recrutements de 2004 à 2014, majoritairement masculin. L’IA a donc naturellement discriminé toutes les candidatures féminines car ne correspondant pas à ses données d’apprentissage et sa cible à atteindre.

Le film IRobot (2004), et son robot NS5 Sonny doté d’émotions et d’une capacité de réflexion humaine, est donc encore très loin de nous, parions donc sur nos soft skills qui nous séparent justement de la machine.

Conclusion

Nous avons tenté, au fil de cet article, de comprendre les origines du mythe autour de l’intelligence artificielle et de détricoter les mensonges et appréhensions la concernant. Comme nous l’avons vu, l’expression « intelligence artificielle » crée de la confusion et renvoie à une mystique inappropriée. Il serait peut-être plus judicieux d’employer l’expression « intelligence augmentée » comme l’a malicieusement proposé Luc Julia, cofondateur de l’assistant vocal Siri, dans son dernier livre. Cette intelligence augmentée ne doit pas être vu comme une intelligence destinée à nous remplacer mais, comme son nom l’indique, à nous assister. En nous assistant et en nous débarrassant des tâches quotidiennes chronophages, l’intelligence augmentée va permettre à l’homme de se dégager du temps et faire ce que lui seul peut faire : réfléchir, innover et créer. De plus, nous avons vu que l’IA ne remplace pas les soft skills d’un être humain, lesquelles nous permettent précisément de recruter nos futurs coéquipiers.

Pour aller plus loin :

L’intelligence artificielle n’existe pas, Luc Julia

La guerre des intelligences, Laurent Alexandre

Valeuriad
Par Valeuriad
16 novembre 2021
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